Alors que nous étions partis à la pêche aux artistes, voilà que nous sommes tombés sur un spécimen tout à fait particulier : bien entendu, nous lui avons mis le grappin dessus afin de l’assaillir de questions !
Lorsque nous avons rencontré Pierre Bergé (alias Pedro), il était à l’Artelier au beau milieu de sa propre exposition, en train de dessiner à même le sol avec les Pink Floyd à plein volume dans le poste. Le lendemain, nous l’avons retrouvé aux aurores dans le quartier Marcadieu, en terrasse d’un café, attablé devant un attirail de crayons, encres de Chine, feutres et autres pinceaux : « J’ai ma trousse de secours ! » nous a-t-il lancé en nous saluant.
Pedro a grandi à Tarbes. Après avoir intégré les Beaux-Arts de Paris, il décide à 24 ans de devenir prof d’histoire-géo, métier qu’il exerce encore aujourd’hui. L’art l’a toujours accompagné : depuis tout petit (première expo à 5 ans !), il peint, dessine, écrit… Dernièrement, il a réalisé une série de dessins sur la guerre en Ukraine. La vente, organisée à l’Artelier à la fin du mois d’avril, était exclusivement au bénéfice d’associations d’aide aux réfugiés de guerre. Cette série se divise en trois parties : la première, en noir et blanc, est très dure ; elle correspond au choc de la déclaration de guerre. La deuxième, plus « calme », intègre de la couleur ; elle symbolise l’acceptation du conflit et l’accueil des migrants. Dans la troisième, l’espoir renaît, et la colombe de la paix fait (enfin) son apparition. Pedro a également réalisé d’énormes formats : « J’ai pour projet d’aller les accrocher en Ukraine, dans les ruines, nous a-t-il expliqué. Le but est simple : apporter de la couleur, de la gentillesse, de la bienveillance ». Comme une sorte de contre-balance ? « Oui. Un artiste se doit d’apporter du bon de façon aussi simple, directe et naïve que la guerre amène du mal ».
L’art permet à cette antenne émotionnelle qu’est Pedro de retranscrire ce que sa sensibilité exacerbée lui fait percevoir au quotidien : « Les sujets durs allument quelque chose que je transforme. Je ne pense pas que l’on puisse créer s’il n’y a pas un déséquilibre quelque part : comment veux-tu ne pas être impacté par ce qu’il se passe autour de nous ? ». À plusieurs reprises, il nous a parlé du pardon que l’art pouvait accorder. Intrigués, nous lui avons demandé de préciser : « Mon art est un pardon renouvelé », a-t-il répondu. Ah ? Mais qui pardonne à qui, alors ? « Tout le monde. Moi, ma famille… Ils me pardonnent de peindre tout le temps, et ils me laissent travailler… et moi, je les pardonne de venir me déranger ! (rires) ».
Avant de rencontrer Pedro, nous avions été happés par ce mélange très particulier d’angles et de rondeurs qu’il développe dans son travail. Surprise : le personnage correspond également à cette description. Il est tout en rondeur, c’est à dire bienveillant, avenant, rieur et généreux, mais aussi tout en angles, brut de décoffrage, avec des cassures nettes et franches. Nous n’avons pas pu nous empêcher de lui en faire part : « Ah ! Ben… c’est la vie, ça (rires) ! La vie, c’est beau, c’est rond, on fait des courbes, et un jour… crac : t’as un accent. Une cassure. » Rond et pointu à la fois, Pedro ! « Je vais te dire : mes grands-parents m’ont toujours appris à être pointu dans quelque chose, mais à être large en même temps, à englober tout le reste. Exemple : ma grand-mère me faisait le catéchisme, mais tout en me parlant de la Torah, de la Bahgavad-Gita, du Coran… Mon grand-père disait : “Il faut avoir conscience du flux, mais ne pas être dedans”. J’ai toujours été à côté. Dans mon métier de prof, je suis atypique ; quand j’étais à Paris aux Beaux-Arts, c’était l’époque The Cure, le rimmel, tout ça… Moi j’arrivais du sud, j’étais en tenue de rugby avec mes Nastase et mon maillot du Stado (rires)… J’étais différent, et ça m’a toujours sauvé ».
Pedro est prof. L’art n’est pas son gagne-pain, et cela lui confère une liberté de création totale : il peint ce qu’il veut, comme il veut, expose quand ça lui chante, et auto-édite lui-même ses recueils de poésies. S’il s’intéresse particulièrement aux causes sociales, il n’en exerce pas pour autant un art « partisan » : « Je ne suis pas là pour choisir un camp. Mon camp, c’est celui de la paix. Je prends toujours l’exemple de Saint-Ex’ : il disait qu’il était prêt à mourir parce qu’il refusait le nazisme, mais qu’il n’avait pas les armes parce qu’il aimait les Allemands. Les gens verrouillent les œillères sur ce qu’il se passe ; notre boulot, en tant qu’artistes, est de les ouvrir ».
« Tarbes est vraiment une source pour moi. Je vis à Grenoble, mais c’est ici que j’ai mes racines, que j’aime faire les choses. Si tu n’as pas de racines, qu’est-ce que tu vas comprendre à celles des autres ? ». Un jour, alors qu’il est en Bigorre pour se retaper après un souci de santé, il se gare par hasard devant l’Artelier qui venait tout juste d’être créé : « Je suis tombé sur Tome (l’un des gérants et fondateurs des lieux, NDLR). Je suis allé le voir, il m’a expliqué le projet, je me souviens qu’il m’a dit : “les Tarbais méritent bien ça !”. J’ai adhéré tout de suite à l’association. Je leur ai dit que j’étais en convalescence, que j’avais besoin de dessiner, et ils m’ont répondu “tu viens quand tu veux, tous les jours si tu le veux”. J’ai dessiné huit heures par jour, et je me suis reconstruit comme ça. En trois mois, j’ai dû faire 600 dessins, c’était la folie ! C’était les débuts de l’Artelier, il n’y avait rien, il y avait Pedro qui travaillait par terre (rires). Les gens rentraient et se disaient “mais qu’est-ce qu’il fait par terre, celui-là”… J’étais là, complètement à l’ouest, en train de dessiner… (rires) C’est pour ça que je suis très attaché à ce lieu. Quand je viens à Tarbes, je tiens toujours à y faire quelque chose ».
Les cafés se sont enchaînés comme les minutes ; nous avons passé un excellent moment avec cet artiste protéiforme qui peint et écrit comme il vit, c’est
-à-dire à l’instinct. Cet hyperactif artistique (il dessine en moyenne 7 heures par jour) a un fonctionnement bien à lui, entièrement libre et assumé. Il bouillonne constamment d’idées, d’énergie, d’inspiration… La page blanche ? « Connais pas ! ». Actuellement, il prépare des projets impactants qui ne manqueront pas d’interpeller la Bigorre, mais chut… nous vous en reparlerons en temps voulu. En attendant, nous ne saurons que trop vous conseiller d’aller découvrir le travail de Pedro (si ce n’est déjà fait) : ce genre d’artiste, aussi sincère que passionné, ne court pas les rues. Foi de Mag !
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