Vous l’avez peut-être vu en couverture : on vous a prévu, en ce début d’octobre, un petit dossier «habitat», et l’on s’est immédiatement dit que l’on aimerait bien produire un «tête-à-tête» qui répondrait lui aussi à cette thématique. La figure d’Edmond Lay nous est tout de suite venue à l’esprit : architecte emblématique de la Bigorre décédé en 2019, il aurait mérité qu’on lui dédie un portrait, ce que malheureusement nous n’avons pas su faire avant sa disparition…
N’ayant jamais eu la possibilité d’avoir un entretien avec Edmond Lay lui-même, nous nous sommes confiés à Jocelyn Lermé et Didier Sabarros, les deux grands spécialistes de son œuvre. Il nous est apparu qu’évoquer l’ensemble du travail de Lay nécessitait bien plus qu’une double-page : n’était-il pas plus opportun de se limiter à l’évocation d’un bâtiment ? Quelques jours plus tard, nous voici devant les portes du Navarre, dont nous cherchons à franchir le seuil ; un habitant des lieux, d’abord méfiant, nous invite à entrer, et nous fait même l’honneur de la visite. Il y a des jours où l’on se dit qu’on a vraiment de la chance…
Si le Navarre pouvait parler, il se présenterait sans doute en ces termes : «A Tarbes, tout le monde me connaît, mais souvent sans vraiment me connaître. Edmond Lay me construisit entre 1965 et 1968, il était alors tout jeune, et revenait d’un long voyage aux États-Unis où il avait rencontré l’immense architecte américain Frank Lloyd Wright. Mes murs en béton mélangé par endroits à des matériaux locaux, l’organisation de mes espaces, la gestion de la lumière qui entre dans les appartements que j’abrite, l’arrangement de mes circulations : tout cela doit beaucoup à Wright, mais signe aussi l’avènement d’une signature qui est clairement celle d’Edmond Lay.»
Jocelyn Lermé, auprès de nous, précise : «L’amour qu’Edmond Lay porte à l’architecture de Wright, il est indéfectible et définitif. Quand il l’a découverte, elle lui a simplement semblé indépassable, et il n’a trouvé aucune raison à ne pas lui devenir fidèle. Cela ne signifie en rien qu’Edmond Lay s’est mis en tête de copier Wright : le Navarre, par exemple, s’inspire également beaucoup de principes de Le Corbusier, mais Edmond Lay a su faire siens les grands préceptes de Wright, que ce soit sur le plan de l’usage, de l’esthétique, de la technique, et inventer à partir de cela une architecture qui lui soit vraiment personnelle…»
Cette architecture personnelle, la première fois qu’elle se manifeste vraiment, c’est lors de la construction du Navarre. Edmond Lay a alors 35 ans, et malgré cela la société de construction HLM Le Nid Bigourdan décide de lui faire confiance. Un sacré pari, d’autant que le projet est de belle ampleur : 112 logements, une grande emprise au sol, pratiquement une dizaine d’étages. Comment Lay remporte-il l’appel d’offres ? Il est peu probable que ce soit son esthétique brutaliste, totalement inconnue en Bigorre, qui fait mouche ; il est davantage envisageable qu’Edmond Lay arrache le morceau grâce à l’idée que le Navarre répondra à un principe qu’il a emprunté à Wright et qui lui tient à cœur : le souci inconditionnel du bien-être de ses futurs occupants.
On a pu entrer dans un appartement, on a bien compris le caractère révolutionnaire de ce type de logement à Tarbes dans les années 60. Gestion de la lumière, des vis-à-vis, des volumes, hauteur des plafonds qui peuvent avoisiner les cinq mètres, sanitaires ultra-modernes pour l’époque, coursives larges pour circuler entre les appartements : oui, on a reconnu Le Corbusier aux côté de Wright, dans l’idée qu’une construction devait avant tout servir l’homme qui l’occupe. Les années 60, c’était l’urbanisation à marche forcée, les clapiers généralisés pour les ouvriers, les tours sans relief et sans âme. Edmond Lay, finalement, c’est l’inverse.
L’œuvre d’Edmond Lay, aujourd’hui, est l’objet d’une belle reconnaissance, laquelle est vivifiée activement par le travail acharné que lui consacrent Jocelyn Lermé et Didier Sabarros. L’atelier du maître, à Barbazan, fait actuellement l’objet d’une restauration complète (merci, notamment, à la mission Bern, au Département et à la DRAC !), et il est possible qu’il abrite d’ici quelques années un lieu artistique où les créateurs viendraient en résidence. La Bigorre ne l’oubliera pas. Et le Navarre, son bâtiment le plus emblématique, restera encore longtemps au coin de la rue Simin-Palay et du boulevard Henri-IV, pour le grand plaisir des amoureux de la modernité en architecture, et pour celui des habitants qui, passionnément, l’habitent. A tous ceux qui le chérissent et le protègent : merci.
Prochainement
Sortie du livre «Edmond Lay : une autre modernité», signé Jocelyn Lermé et Didier Sabarros. On vous tient informé !