La politique économique, c’est simple : tant que ça marche, on ne change rien, mais quand plus rien ne marche, on se pose des questions… Voilà que débarque un grain de poussière qui enraye la machine et l’on remet au centre des concepts que certains défendaient déjà à corps et à cri, mais qui avaient jusque-là du mal à faire système.
Ainsi l’on a vu refleurir, dans les discours institutionnels, des idées comme l’entraide, la solidarité, la souveraineté… Non pas qu’ils en étaient jusque-là absents ; mais clairement, ils n’étaient pas au cœur du logiciel. En Bigorre, les initiatives relevant de l’Économie Sociale et Solidaire font florès depuis des années, et dessinent, du moins nous semble-t-il, une voie possible et réaliste pour ce qu’il est de bon ton de nommer aujourd’hui le « monde d’après ». Pour en discuter, nous sommes allés interroger Claire-Emmanuelle Mercier, l’une des co-représentantes légales du Pôle ESS (Économie Sociale et Solidaire) des Hautes-Pyrénées.
Déjà pour qu’elle nous explique ce qu’est l’ESS !
La discussion fut, sur ce point, exhaustive, on tente un résumé : l’ESS, déjà, c’est la reconnaissance d’un « mode d’entreprendre spécifique » défini par la loi (loi Hamon de 2014). Ce mode d’entreprendre spécifique se doit impérativement de poursuivre un but d’utilité sociale, et, grosso modo, doit fonctionner selon une gouvernance plus démocratique que le schéma pyramidal standard. Les coopératives, les mutuelles et les associations sont évidemment concernées en premier chef ; mais d’autres entreprises, qu’elles cherchent ou non à obtenir l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale) peuvent aussi se revendiquer de l’ESS, ou même participer de l’ESS sans en avoir pleinement conscience…
Car, et comme nous l’affirme Claire-Emmanuelle Mercier, l’ESS n’est en aucun cas une « économie parallèle », cherchant à faire sécession de l’économie « capitalistique » : « Entre une entreprise classique et une entreprise de l’ESS, la frontière est parfois mince ! Il y a beaucoup de TPE et de PME qui ont fait de l’implication sur le territoire un mot d’ordre, qui ne font pas du chiffre pour faire du chiffre, mais essentiellement pour créer de l’emploi et de la richesse au sens large, y compris de la richesse humaine ! » La richesse humaine, l’économie au service de l’humain, et non pas l’humain au service de l’économie : autant de notions qui reviendront fréquemment dans le cours de notre discussion, et qui, à la lumière de la crise actuelle, semblent se donner à voir sous un jour nouveau…
Parlons chiffres, maintenant. Direction le site internet de la Chambre Régionale de l’ESS, pour étudier ceux parus en 2015 en ce qui concerne les Hautes-Pyrénées : en 2015, donc, l’ESS dans notre département, c’est 950 établissements employeurs, 9408 salariés (soit 8053 équivalents temps-plein), et 220 ME de masse salariale brute. Vous croyiez que l’ESS était un phénomène marginal ? Comme vous vous trompiez !
Autour du Pôle ESS co-représenté par Claire-Emmanuelle Mercier, Odile Despert et Julie Simoës, on trouve aujourd’hui 29 structures, qui participent toutes à la définition des rôles du Pôle et à la mise en œuvre de ses actions. «Le Pôle existe depuis 3 ans maintenant, il est donc encore en pré-figuration. Pour l’instant, nous œuvrons à faire se rencontrer le plus d’acteurs possibles dans le département, et à ce que des discussions et des coopérations s’instaurent. Le Pôle ne fonctionne que grâce aux bonnes volontés des personnes qui y participent : les représentants des structures adhérentes sont tous bénévoles, et assument cette activité en plus de leur travail rémunéré…»
Parmi les 29 structures déjà citées, on trouve, par exemple, la Fondation AG2R La Mondiale, l’ADAPEI, l’ADMR, Wimoov, Les Études de K., FIL, l’agence ÉPOPÉES, le Comptoir de services de Laubadère, Récup’Actions 65, le Groupement de l’Agriculture Biologique 65…, rien que du vertueux ! Avec Claire-Emmanuelle Mercier, l’on évoque aussi d’autres entreprises, telles que l’Odyssée d’engrain et le parc d’attractions Jump Around à Séméac : « On ne le sait que trop peu, mais Jump Around, c’est des trampolines qui se déplacent dans les quartiers en milieu rural, c’est une politique tarifaire d’accessibilité au plus grand nombre, c’est en fait un but social, qui n’exclut pas non plus l’ambition de vivre de ce que l’on fait ! » Entre économie classique et ESS, la frontière est parfois mince, on vous le disait plus haut…
Concluons sur cette histoire de frontière. Oui, l’ESS souffre encore de nombreux aprioris, et paraît être, dans l’esprit de certains, une utopie gauchisante déconnectée de la réalité économique mondialisée : « L’ESS, parfois, ça fait peur ou ça fait bisounours, précise Claire-Emmanuelle Mercier. «Nous, on n’est pas là pour défendre notre cause sur le plan théorique. On met des choses en place, et l’on se contente de montrer que l’ESS, ça marche à la fois du point de vue de la performance économique, de l’utilité sociale et de la création d’emplois sur le territoire. Les exemples parlent pour nous.»
Dans une époque où les modèles vertueux manquent parfois à l’appel, lors d’une crise où les impératifs sociaux et solidaires deviennent la condition sine qua none de la survie de nos sociétés, à un moment où l’on redit l’importance des territoires, du consommer local, et où l’on déplore l’augmentation des dividendes malgré la souffrance de l’économie réelle : alors il est peut-être temps de se poser la question de modifier le logiciel global. Et, en fait de patch pour corriger les travers de celui-ci, l’ESS, clairement, semble être aujourd’hui le mieux approprié, et celui qui fait le mieux ses preuves…
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