Partout, tout le temps, on nous le serine : «les jeunes ne lisent plus !» Et, certes, comment le pourraient-ils, eux qui sont constamment vissés à leur smartphone, eux qui se biberonnent au flux constant des vidéos Youtube et autres clips Tik Tok, eux qui s’abîment dans leurs écrans accaparants et invasifs ?
Or, le procès que l’on fait à la jeunesse d’avoir abdiquer l’honneur d’être un lecteur est faux. Des études récentes le prouvent : les jeunes sont toujours très intéressés par la littérature, et notamment par celle que l’usage nomme «classique». Et la France de le découvrir tout récemment, lors d’une émission de télévision où de jeunes collégiens et lycéens se sont affrontés dans un concours de lecture à voix haute. Présentée par François Busnel, l’animateur chéri de La Grande Librairie, celle-ci a surtout été l’occasion de dévoiler quels auteurs avaient été choisis, pour braver l’exercice, par les adolescents présents sur le plateau : dans le lot, on comptera Sartre, Hugo, Vian, Céline, Grimbert, Cavafis, …
Mais venons-en à notre championne ! Car qui dit concours dit triomphateur, et dans la catégorie Lycéens, en l’occurrence, triomphatrice. On est extrêmement fier de pouvoir vous annoncer, si vous ne comptiez pas parmi les spectateurs de l’émission «Si on lisait… à voix haute !» le 26 août dernier, que la gagnante de cette compétition est béarnaise, habitante de Louvie-Juzon plus précisément ! Cathy Mvogo, bientôt 16 ans, et qui étudie actuellement à l’Institut Saint-Dominique de Pau, est parvenue en deux lectures à ravir l’adhésion unanime du jury. La concurrence était pourtant rude : un jeune garçon nommé Anthyme, très sûr de lui, avait appuyé un extrait de Céline d’une prose très théâtrale, doublée d’une apparente décontraction vis-à-vis de l’exercice et d’un flegme ostensible. Cathy, lisant un passage de «Petit Pays», de Gaël Faye, riposta par une performance toute en émotion «vraie», palpable, retenue et vibrante. Verdict d’Éric-Emmanuel Schmitt, membre du jury et grand homme de théâtre s’il en est : «Les chants les plus puissants ne sont pas toujours les chants les plus forts, mais parfois les chants les plus doux…»
Évidemment, nous n’avons pas pu nous empêcher, au Mag, d’interroger la jeune Cathy sur les racines de son goût pour la lecture : «Quand j’étais petite ma mère me lisait beaucoup d’histoires. C’est en l’écoutant que j’ai appris à lire, assez tôt d’ailleurs puisqu’à quatre ans je savais lire. Et puis après, il y a eu le théâtre : j’en ai fait pendant huit ans. Pour préparer les pièces on avait l’habitude de lire à voix haute pour voir quel personnage nous convenait le mieux. Cela fait partie des choses qui m’ont donnée le goût de la lecture, je crois…». Naturellement, l’école a joué son rôle, Cathy en conviendra pendant l’entretien que nous avons eu avec elle : ses lectures étaient d’abord «scolaires», et puis, un jour, l’idée de lire par elle-même a germé. Mais n’en est-il pas (presque) toujours ainsi ?
A 15 ans, on peut trouver du temps pour lire, bien sûr, mais il y a des tonnes d’activités qui réclament aussi un peu de notre disponibilité. Entre ses études (elle entre cette année en 1ère S) et sa passion pour l’équitation, Cathy se plonge parfois dans un ouvrage, qu’elle sélectionne en ce moment plutôt parmi les «témoignages historiques». Si Marcel Pagnol, l’auteur qu’elle a choisi pour la première lecture que le concours lui réclamait, est plutôt lié à son enfance, Gaël Faye s’immisce plutôt dans les rangs des écrivains qui ont quelque chose à dire de l’histoire, et que Cathy affectionne pour cela. «Avant de lire Petit Pays, je ne savais pas qu’il y avait eu un génocide au Rwanda. Ça m’a complètement choquée parce que je ne connaissais l’idée de génocide qu’à partir de ce que l’on nous avait dit, en cours d’histoire, de l’Allemagne. On ignore beaucoup de choses qui se sont passées dans le monde, alors que le génocide du Rwanda, c’était à peine il y a 26 ans…»
Voilà. Cathy Mvogo, c’est un des exemples de ces jeunes lecteurs dont l’existence est souvent niée. Ce n’est pas pour autant une bibliovore insatiable, elle-même reconnaît qu’elle ne lit que «lorsqu’elle a envie», et que ses envies sont par ailleurs mobiles ! Il est doux à tout âge de se laisser guider par la fantaisie, disait Proust. Mais il n’en demeure pas moins que l’on sent chez elle une certaine curiosité, une certaine sensibilité, deux qualités qui sont effectivement d’ordinaire celles des lecteurs. La jeune fille reprend en ce mois de septembre le chemin du lycée. Elle ne se rêve pas en comédienne, ni en écrivaine, mais en médecin ou en vétérinaire. Les pieds sur terre, Cathy, et la tête sur les épaules ! Gageons que dans son projet de vie, la littérature, présence discrète, l’accompagnera. Et comme, ainsi qu’en attesteront tous les lecteurs de France, c’est naturellement la plus belle des malédictions que d’aimer lire, c’est bien tout le mal qu’on peut lui souhaiter…