La galerie d’art
se reconnaît habituellement à ses grandes vitrines en rez-de-chaussée, dans lesquelles on expose cérémonieusement les plus belles pièces de l’exposition en cours, celles qui auront vocation à inviter le visiteur en puissance à entrer, à découvrir plus avant ce qui viendra nourrir sa sensibilité, son tempérament
d’amateur…
Hors cette situation en « raz de trottoir », point de salut ? Et si, sur cette question, l’on prenait un peu de hauteur ? Parodions Cyrano, la scène du Balcon ; Roxane, rivée à son garde-corps, jetant ces mots à celui qu’elle croit être Christian : « Je vous parle, en effet, d’une vraie altitude ! ». Atelier 20, lui répondant en écho : « J’observe, depuis mon aire, passer la multitude ». Ce que c’est que de vivre en étage, tout de même !
Ascension
Atelier 20, vous dites ? C’est au deuxième ! Quelques marches à gravir, et, au second palier, un bel appartement bourgeois aux murs blancs et aux plafonds hauts… Emmanuelle Hirsch, fondatrice de l’institution, a eu l’excellente idée d’y installer un lieu d’exposition, sans doute celui, à Tarbes, le plus original par sa situation. Pour l’anecdote : avant que d’être une galerie, c’était l’endroit où vivait sa grand-mère… Mes aïeux (!), voilà une bien belle façon que de lui rendre hommage, du moins nous semble-t-il. Pas à vous ?
Sorry honey
Ici, le Mag doit probablement faire son mea culpa. 5 ans qu’existe Atelier 20, et pas une fois encore nous n’en avons parlé dans nos colonnes ? On le reconnaît humblement, nous n’avons aucune excuse, si ce n’est celle que l’on connaissait finalement assez mal l’endroit, plutôt par ouï-dire que de visu… L’on compte bien se rattraper, et l’on voulait, pour ce faire, vous parler un peu de l’exposition qui s’y tient actuellement. A l’honneur de celle-ci : la peintre, dessinatrice et sculptrice Sorane Rotellini, dont on a découvert le travail quelques jours avant le vernissage…
Ordre et beauté
L’œuvre de Sorane Rotellini, à première vue, repose sur un paradoxe curieux : elle baigne d’étrangeté, certes, mais elle n’inquiète pas ; elle a même l’air plutôt avenante, on aimerait dire : douce. Clairement, elle appartient à l’art des compositions chimériques, un genre qui a sans doute atteint des sommets en premier lieu sous le pinceau de Jérôme Bosch et de Matthias Grunewäld, en second lieu avec les surréalistes. Mais, chez ceux-là, il se présentait souvent sous un profil monstrueux, il était l’envers dysmorphique d’une certaine conception de « l’ordre naturel ». Chez Sorane Rotellini, au contraire, il est chimère et merveille à la fois, il est la réinvention d’un ordre qui n’est tout simplement pas celui de notre monde.
Sang ou sève ?
Mais alors, d’où viennent-elles, ces étranges créatures, animales ou végétales (qui pourrait bien le dire ? Sans doute est-ce les deux à la fois ?), dessinées, sculptées, assemblées, peintes ? On aime à penser qu’elles dérivent d’une hybridation généralisée de tout ce qui, sur notre Terre, croît et se multiplie, qu’elles sont les fruits du vivant s’accouplant avec lui-même, sans plus se poser de questions quant à la compatibilité de telle espèce avec telle autre… Ainsi, l’épine du rosier se trouve associée à la plume de l’oiseau, elle-même jointe à la minéralité de la pierre, elle-même unie à la fibrosité du bois. Comment tout cela s’est-il engendré ? Mais tout simplement, par la fertilité de l’esprit, celui de Sorane Rotellini en l’occurrence, qui a renouvelé l’idée de la « rencontre fortuite entre un parapluie et une machine à coudre sur une table de dissection » version organique, cette fois…
Concept vs. Percept
L’esprit, ici, agit ce nous semble sans le secours de la raison. L’œuvre de Sorane Rotellini, comme elle nous l’a confié, s’adresse directement à la sensibilité. Elle n’est pas conceptuelle, elle est « perceptuelle », et, pourrait-on dire, instinctive, ce qui ne signifie pas hasardeuse. Car d’une « tempête sous un crâne », de l’association de matières contrastées, distinctes, hétérogènes, peut naître, on le disait plus haut, l’ordre et la concorde. Sans que ne soit apostasiée par ailleurs l’étrangeté, qui peut tout à fait être étrangement belle.
Verdict
Vous l’aurez compris : on aime. On aime le lieu, on aime l’œuvre. Et, comme on le sait, en cette époque où les relations sociales se jouent également sur facebook, sur Youtube, sur Instagram, quand on aime, on partage ! Rien ne vaut toutefois l’expérience vraie : aussi, si par hasard, en ce mois de mars, vos pas vous mènent devant la porte cochère du 20 rue des Pyrénées, n’hésitez pas à prendre vous aussi, de l’altitude. Ou, d’aucuns disent, de la hauteur. A vous de voir…
Exposition Sorane Rotellini
Jusqu’au 5 avril
Atelier 20
20 rue des Pyrénées à Tarbes
Ouvert du mer. au dim. de 15h à 19h.