Le 6 mai prochain, Dans6T inaugurera son tout nouveau centre tarbais, « Open Danse ». À cette occasion, on a rencontré Bouziane Bouteldja, fondateur de cette association pour le moins atypique, avec qui nous avons eu une discussion passionnante : nous sommes revenus sur son propre parcours et il nous a livré sa vision de l’art, définitivement liée à la réalité de notre époque. On vous raconte !
« Pour moi, l’aventure a commencé en 97, se souvient Bouziane. Cet été-là, j’ai participé à un atelier de danse hip-hop, et j’ai immédiatement aimé ça ». D’un coup d’un seul, c’est le déclic : Bouziane a 16 ans lorsque la danse s’impose à lui comme une évidence. « Je me suis beaucoup entraîné chez moi, et en deux ans j’ai commencé à avoir un petit niveau qui me permettait de me démarquer ». Il se rappelle avoir obtenu l’autorisation de pratiquer dans une salle de Soues : il travaillait ses mouvements pendant que d’autres jouaient au foot à côté de lui, et des ballons perdus lui atterrissaient parfois dessus entre deux pas de danse… Une belle définition de la passion !
« En dehors de la danse, j’étais très engagé dans les questions de citoyenneté. Dès 99, j’ai commencé à donner des cours à Bordères et à Soues ». Bouziane a à peine 20 ans lorsqu’il créé Dans6T en 2001. « Entre 2001 et 2005, j’étais Conseiller national de la jeunesse, je représentais le département au niveau national ». La première salle de l’association était rue du Régiment de Bigorre. « Le but était de proposer des cours afin de payer le loyer de la salle, et pouvoir disposer des lieux pour s’entraîner », nous explique-t-il. En plus de donner des cours de danse, il suivait des études de géo et travaillait en tant que surveillant à Bagnères. « On a été surpris par le succès : la première année on a eu 30 élèves, la deuxième 70, la troisième 135… On était tous bénévoles, et là on a réalisé qu’on pouvait en vivre ». En 2005, Bouziane est le premier salarié de Dans6T. Tandis que l’équipe s’agrandit et enchaine les battles, il continue de mûrir son projet de créations personnelles, affine ses objectifs, redouble d’efforts et créé son premier spectacle en 2009, intitulé Pas si compliqué.
Grâce à cette première création, Bouziane fait des rencontres fondatrices, notamment avec Gilles Rondo, pionner de l’accompagnement des compagnies de danse hip-hop, et Coraline Lamaison (metteuse en scène, comédienne, directrice artistique..), qui joueront des rôles essentiels dans sa carrière. Coraline le place notamment face à ses propres contradictions : « Je voulais parler des discriminations dans mon spectacle car je m’en sentais victime, se souvient-il, et elle m’a fait prendre conscience que j’étais moi-même auteur de discriminations ». En 2012, ces questionnements donnent naissance à Altérité, son deuxième spectacle ; là, ça décolle sérieusement pour la compagnie : Bouziane se fait connaître en tant que chorégraphe au niveau national. Aujourd’hui, après plus de huit créations originales personnelles, il consacre son temps à la compagnie et donne également des ateliers ponctuels : « Dans ces ateliers, je n’apprends pas la danse mais plutôt la philosophie de la danse : à quoi sert-elle, comment aborder les questions de société à travers elle ».
En 2015, Bouziane créé le spectacle Réversible : « J’y retrace mon histoire personnelle. C’est là que j’ai compris que si j’avais flashé sur la danse, c’est parce que ça me reconnectait à mon corps : la danse est venue réparer ce qui avait été brisé en moi. C’est de l’ordre de l’inconscient : parfois, quand tu te poses des questions et qu’il n’y a aucune réponse possible, tu te mets à danser et c’est ton corps qui te donne les réponses ». Son implication artistique est un exemple de courage et d’intégrité. Pour lui, l’artiste n’a pas d’autre rôle que celui de raconter sa propre époque : « C’est dans Réversible que je commence à dénoncer les violences religieuses. Aujourd’hui, ça fait cinq ans que je milite dans les quartiers pour dire que c’est quand même bien d’être Français, d’être égalitaire, de ne pas être raciste ou sexiste…» Son engagement dans la danse et son implication sociale sont étroitement liés : « Je travaille à Marseille avec des réfugiés depuis deux ans, et j’ai décidé de faire une pièce sur le sujet, pour parler de ce qui nous force à nous déplacer depuis toujours ».
Dans6T, c’est avant tout une équipe, et même s’il nous est impossible de dresser une liste exhaustive de ses membres, citons toutefois Leila, la sœur de Bouziane, qui est présente depuis toujours à ses côtés et qui dirige aujourd’hui le projet avec lui. L’association est construite sur un modèle unique, c’est une entité qui emploie une cinquantaine de salariés et développe trois axes de travail : une compagnie, une école de danse, et des actions culturelles et politiques. La compagnie propose les créations originales de Bouziane, qui rayonnent sur la scène internationale ; les cours dispensés sont nombreux et variés, et les actions culturelles peuvent revêtir de multiples aspects. Par exemple, pendant le confinement, le centre ouvrait pour ceux qui ne pouvaient pas imprimer leurs attestations de sortie chez eux ; Dans6T a également distribué des ordinateurs à ceux qui en avaient le plus besoin, et a soutenu les artistes en les payant pour faire des shows en direct sur le Web : « J’ai lancé une audition sur Internet pour les danseurs à qui il manquait des heures de travail, raconte Bouziane. Tous les mardis soir, on organisait un live d’un danseur sur Facebook et on lui payait deux cachets : la répétition et le spectacle. La règle, c’est que même en période de crise, il ne faut jamais rester sur ses acquis ».
Le 6 mai, Dans6T ouvrira les portes de ses nouveaux espaces : « On louait depuis 20 ans, on s’est dit qu’il fallait que ça change. Les locaux sont tout neufs : on a acheté le terrain et on a construit. Le centre dispose de salles adaptées aux danses qu’on enseigne, et aussi d’une « boîte noire » : c’est une salle qui accueille les compagnies dans des conditions professionnelles, afin qu’elles puissent travailler la création. Ce nouveau centre va permettre de rasseoir les valeurs de base de Dans6T : hospitalité, liberté, égalité, respect ». Bouziane a beaucoup vagabondé à travers le monde ces dernières années ; à présent, il a envie de se recentrer autour de la Bigorre : « Cette salle va aussi me permettre de me réancrer dans la région. J’ai été longtemps artiste associé à des théâtres de région parisienne ; aujourd’hui, j’ai envie de me réassocier à des théâtres en Occitanie ».
Merci Bouziane !
Cie Dans6T
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