Aux Archives départementales des Hautes-Pyrénées, on se prépare activement à une petite «révolution» : en 2024, l’institution devra quitter ses locaux de la rue des Ursulines (Tarbes), pour rejoindre le corps de bâtiment, entièrement rénové, entièrement remanié, entièrement repensé, de l’ancienne École Normale des filles, sise à «une encablure» de l’Hôtel de Ville…
.. 2024, c’est loin, argueront ceux qui ont l’habitude de suivre l’actualité des chantiers publics. Mais quelle idée peuvent bien se faire d’un tel délai ceux dont le travail consiste à veiller sur des documents anciens de plusieurs siècles, et dont l’obligation de les conserver court, on cite ici François Giustinani, pour «l’éternité» à venir ? Le temps des Archives n’est pas tout à fait identique à celui qui prévaut hors des murs de l’établissement : on le comprendra, avec son directeur, pendant l’entretien qu’on aura avec lui.
Avant que de parler d’actualité, reprenons, si vous le voulez, les bases : la mission d’un service d’archives, c’est quoi ? « Habituellement, on la présente en cinq verbes » précise François Giustiniani : « Collecter – Classer – Conserver – Communiquer – Valoriser ». Tout cela, a priori, paraît simple, et l’on pourrait imaginer qu’il n’y a pas lieu de s’étendre : comme l’on se tromperait ! Un exemple avec «Collecter» : saviez-vous que le rôle d’un directeur d’archives, s’il consiste à recueillir un certain nombre de documents, consiste aussi bien à en détruire une masse significative ? « Je suis certes Conservateur du Patrimoine, mais en réalité, mon travail est fait quand j’ai autorisé davantage d’élimination que je n’ai pris en charge de documents » s’amuse François Giustiniani. Étonnant, non ?
Cela, pourtant, est logique. Les documents que prennent en charge les Archives départementales sont, en majorité, des documents d’administrations publiques, dont la conservation est la garantie du continuum du service que lesdites administrations doivent à leurs administrés. Le rôle du directeur d’archives, dans cette perspective, est de savoir ce qui doit être conservé, et corollairement ce qui n’a pas de raison de l’être. Dans les «flux entrants» qui convergent vers le bâtiment de la rue des Ursulines, on trouve, ainsi qu’en dispose la loi, toutes les archives communales des municipalités de moins de 2000 habitants (et, de fait dans les H-P, plus généralement de toutes les communes du département à l’exception de Tarbes, Lourdes et Bagnères, qui disposent de leurs propres services d’archives municipales), ainsi que toutes les archives des administrations publiques ayant leur siège dans le département (préfecture, tribunaux, directions départementales, mais également établissements publics, hôpitaux, établissements d’enseignement, etc.). Viennent s’ajouter à cela, naturellement, les archives privées, lesquelles n’ont pas d’obligation légale d’y être entreposées, bien qu’elles trouvent naturellement dans ces lieux un accueil approprié à leur offrir la plus longue pérennité possible. « En temps normal, les Archives des Hautes-Pyrénées se voient remettre entre 200 et 400 mètres d’archives linéaires par an » explique François Giustiniani. « Ces dernières années, on est plutôt autour de 800.»
Les Archives départementales ont aujourd’hui, sous leur garde, à peu près 20 kilomètres de documents. Ces documents, il faut leur assurer les meilleures conditions de conservation possibles : cela passe par un contrôle rigoureux de l’hygrométrie, par un chantier continu de restauration de ce qui doit l’être, et également par la numérisation des documents, qui, en plus de les rendre mieux accessibles, est un excellent moyen de protéger les originaux. Mais la conservation relève elle aussi de problématiques complexes. Exemple : «Les administrations publiques, depuis des décennies, ont développé comme les entreprises privées des interfaces numériques. Leurs archives, elles aussi, sont devenues numériques. Qu’un parchemin médiéval puisse traverser les siècles, on le sait, mais on a beaucoup moins de certitude à ce sujet pour un disque-dur ou une clé USB ! Quant aux réseaux en ligne, ils posent d’autres questions. L’incendie récent d’un data center à Strasbourg et la grande perte de données qui l’a suivi n’a rien de rassurant. Il y a un virage que tous les services d’archives de France doivent prendre, et une réflexion qui est en train d’être menée à ce sujet. Le Conseil départemental des Hautes-Pyrénées travaille d’ailleurs actuellement à doter ses archives d’un système de stockage d’archives numériques à la fois stable et sécurisé.»
Parmi les citoyens venant consulter des archives, il y a naturellement des historiens, des généalogistes et des étudiants, mais il serait réducteur de penser qu’ils sont les seuls à venir y chercher quelque chose. « Quinze à vingt pourcents des demandes qui nous parviennent concernent des recherches administratives, sur des questions liées aux cadastres, aux droits de passage, à des actes de naissance… Ce ne sont pas des recherches qui visent à mieux instruire une histoire personnelle ou l’histoire d’une région : ce sont des recherches qui fondent des droits » précise François Giustiniani. Les demandes formulées par les notaires et plus généralement par un ensemble de professions juridiques, sont nombreuses. Les archives : outil nécessaire pour assurer la perpétuation de l’état de droit ? Oui.
Aux Archives départementales, on trouve aussi, ainsi que l’on peut s’y attendre, un certain nombre de trésors d’un inestimable intérêt historique, esthétique ou documentaire. François Giustiniani, dans une longue promenade entre les étagères des magasins de la rue des Ursulines, nous en a présenté certains, ceux-ci étant par ailleurs régulièrement soumis à l’appréciation du public, via des conférences sur le territoire, ou des interventions en milieu scolaire. Les Archives départementales, aujourd’hui, manquent cependant encore d’un espace propre à valoriser leurs fonds auprès du large public, par le biais d’expositions, notamment. Cela changera bientôt : avec le projet d’un nouveau bâtiment dont une surface significative sera consacrée à l’accueil du public et à la mise en valeur de ce que les Archives contiennent, l’institution est en passe de pouvoir remplir plus exhaustivement sa dernière mission : «Valoriser».
De par sa position en cœur de ville, l’ancienne École normale des filles constituera nécessairement un point d’intérêt et de curiosité à l’échelle du département et de sa capitale. Le projet architectural retenu, d’ailleurs, ne dit pas autre chose : si les murs de l’ancien bâtiment seront globalement conservés, a été aussi encouragé un parti-pris de transparence et d’ouverture. Le nouveau bâtiment sera ainsi traversable, et certains de ses ateliers, notamment celui de reliure / restauration, vitrés, afin qu’on puisse y voir, depuis l’extérieur, le travail en train de se faire. François Giustiniani : « Il fallait conjuguer à la fois la notion d’ouverture et celle « d’écrin au trésor ». Le projet architectural retenu par le Département répond à cette double exigence.» Salle d’exposition, salle pédagogique, espaces d’accueil : les Archives départementales se donneront à voir, à la livraison du chantier, sous leur meilleur jour. Présentant à la fois des conditions de conservation plus favorables, des espaces de stockage plus grands et de vrais espaces de valorisation, on a déjà l’intuition de ce qu’elles pourront, en plus des grands services qu’elles rendent aujourd’hui aux citoyens, offrir demain. L’époque compliquée dans laquelle nous vivons nécessite probablement, pour qu’on l’éclaircisse, un surcroît d’épaisseur historique : nul doute que les éléments propres à l’asseoir se trouvent aux archives. Si tout se passe bien, ils s’y trouveront encore pour les générations suivantes, voire, si les Archives vont au bout de leur mission, pour «l’éternité à venir». Vertigineux, non ?
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