À l’occasion de la Coupe du Monde de Rugby 2023, nous avons absolument tenu à discuter avec Le Professeur, alias La Terreur des Mêlées, alias Garuche, alias… Jean-Pierre Garuet.
Jean-Pierre Garuet est une légende. Joueur emblématique du FC Lourdes, il a disputé avec le XV de France la première Coupe du Monde en 1987. Il a été élu deux fois meilleur pilier du monde.
Le Mag a eu la chance de partager une longue discussion avec cet immense champion.
Ça n’a plus rien à voir. J’aurais aimé, comme beaucoup de joueurs de ma génération, le pratiquer à titre professionnel. C’est un sport qui nécessite une importante préparation physique. Aujourd’hui, il y a de très gros moyens, ce n’est pas comparable à notre époque où la préparation se faisait un peu dans le style de Jean Prat ou de Michel Crauste : c’était d’abord un travail individuel, on avait tous un métier à côté.
Je suis fils de cultivateurs, on maniait des sacs d’engrais, et j’avais en même temps une affaire de pommes de terre sur Lourdes. Notre amusement, c’était de manipuler des sacs de pommes de terre, depuis le filet de 5 kg jusqu’au sac de 25 kg, 50 kg… Et jusqu’à 100 kg pour les sacs d’engrais ! À cette époque, certains joueurs étaient profs de gym, comme Pierre Berbizier ou Philippe Dintrans, d’autres étaient paysans, forgerons, cafetiers, ou travaillaient dans les tranchées avec la pelle et la pioche…
J’ai eu la chance d’être dans ce magnifique club. J’y ai débuté en cadet : je suis de Pontacq, mais il n’y avait pas d’école de rugby, donc j’allais à Lourdes. Je venais à vélomoteur : qu’il pleuve ou qu’il vente, je n’ai pas manqué un seul entraînement ! J’étais heureux et j’étais fier : Lourdes venait d’être Champion de France en 68. À 21 ans, j’ai joué en équipe première et je suis passé de troisième ligne à pilier, car il manquait un pilier… À l’époque, on n’allait pas chercher les joueurs à l’autre bout du monde : pour le pilier, on prenait le junior qui était un peu costaud, et on attendait qu’il s’y fasse. On apprenait sur le tas.
Oui, car le plus important est qu’il y ait moins de blessures. La mêlée est encore plus essentielle qu’auparavant : elle dure moins longtemps, mais on sait tout de suite qui est le dominant et le dominé. Je me suis régalé devant le match de l’Afrique du Sud contre l’Irlande : le jeu de force… attention ! Autant d’un côté que de l’autre, on voyait qu’ils l’ont beaucoup travaillé. La méthode irlandaise, je la connais, je l’ai pratiquée ! Pour nous, tomber, c’était hors de question. On avait notre fierté : reculer, c’était un peu comme si on perdait l’Alsace et la Lorraine (rires). Comme je dis toujours : si la mêlée est bien exploitée, c’est la bombe atomique. Il faut être patron, et être patron, ça se travaille, y compris dans la tête. Il faut être le meilleur.
Oui. On venait de secouer les Blacks comme jamais, à Nantes ; on avait fait le grand chelem, le vrai. Arrivés en demi-finale, on a fait ce gros match contre les Australiens, qui dominaient le rugby à l’époque. C’était chez eux, à Sydney, et on a gagné dans les dernières secondes, magnifiquement. Par contre, après, pour la finale, on était cuits. On finissait la saison, c’était au mois de juin, on était à fond de cale, épuisés.
Oh, on me laisse tranquille… J’en parle avec ceux qui veulent en parler, mais je commence à faire un peu partie des vieux cons ! (rires)
Quand j’étais en première ligne, je m’entraînais tous les jours avec des sacs de pommes de terre et d’engrais, et j’avais aussi fabriqué une salle de musculation personnelle, chez moi. Elle existe toujours : il y a des toiles d’araignées parce que ça m’a un peu passé, mais elle a servi, et à d’autres que moi ! Louisou (Louisou Armary, NDLR) y est passé, il avait dix ans de moins que moi, il refaisait les mêmes mouvements, il savait que la rigueur allait payer… Il était passé par un « Professeur » : voilà l’origine du surnom. Il y a eu beaucoup d’autres jeunes qui sont venus.
Ah ça, c’est l’adversaire ! Ce qu’il faut, c’est que vos coéquipiers aient confiance en vous, et qu’en face, l’adversaire se dise : « Hou… ! » (rires)
Pas tous les matins, mais j’aime bien, oui ! « Mignonne, allons voir si la rose, Qui ce matin avait éclose, Sa robe de pourpre au Soleil, N’a point perdu cette vêprée, Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au votre pareil »… Hé hé !
Ah ça, que voulez-vous… on ne va pas me changer, je mourrai comme ça ! Je suis né à Lourdes, je suis un enfant de Pontacq, et ma mère est de Langon, à côté de Sauterne : je suis aussi un descendant de viticulteurs, c’est pour ça que j’ai toujours bu du vin à table. Même le jour de la finale de la Coupe du Monde, j’avais levé le verre avant de jouer ! (rires) Et je peux dire que j’ai toujours respecté les vins du pays. Quand on voit le progrès qui a été fait dans les vins de Madiran, de Saint Mont, ou du Minervois… attention !
Oh oui, c’est bon, j’ai donné. Maintenant il faut laisser la place à la jeunesse. Elle va faire comme les autres… Elle apprendra sur le tas !